Le futur, c’est maintenant
Inconnu du monde automobile il y a encore une dizaine d’années, Elon Musk s’est pourtant lancé un défi colossal en fondant Tesla Motors en 2003 : révolutionner l’industrie en inventant le futur de l’automobile. Et si la phrase peut prêter à sourire, les observateurs de la Silicon Valley savaient que ce cofondateur du service de paiement en ligne Paypal était quelqu’un à prendre au sérieux.
Cinq ans plus tard apparaissait le Roadster, une Lotus Elise électrique. Si de loin, l’engin semblait n’être qu’une vague adaptation à l’électricité de la sportive britannique, il marquait pourtant déjà un tournant dans le monde de l’électrique, notamment grâce à une autonomie réelle dépassant les 300 km.
Mais Musk a toujours expliqué que le Roadster était une phase transitoire, un premier pas vers quelque chose de plus grand. En présentant la Model S en 2012, Tesla plongeait dans cette seconde phase, celle de la production de masse. Cette berline, qui prétend concurrencer les BMW Séries 5 et autres Mercedes Classe E, amorce donc un tournant qui devrait se poursuivre avec le Model X (un crossover haut de gamme) puis avec une petite berline aux environs de 30 000 dollars, visant les Audi A4 ou BMW Série 3.
Mais la viabilité de ce projet repose aujourd’hui intégralement sur les épaules de la Model S. Si la berline électrique tient ses promesses, Tesla aura gagné son pari et sera en mesure de devenir l’un des leaders incontestés de l’industrie automobile pour les prochaines décennies. Mais si cependant elle manque sa cible, le constructeur risque de rester dans les livres d’histoires comme l’une des plus importantes bulles spéculatives de l’industrie. Rarement une seule voiture a-t-elle porté d’aussi lourdes responsabilités en matière de symbolique. Alors, le futur, c’est maintenant ?
Le bon compromis
« Notre ambition n’est pas de faire la meilleure berline électrique, mais de faire la meilleure berline tout court » expliquait Elon Musk lors de la présentation de la Tesla Model S. L’approche de la société est donc claire concernant son vaisseau amiral : elle doit concurrencer directement les ténors de la catégorie. Cela signifie donc qu’elle ne peut pas se permettre de s’afficher comme trop différente. Visuellement, cette approche se traduit par un compromis entre style personnel et moderne, sans tomber dans un futurisme caricatural : comme une Audi A7 par exemple, elle doit afficher son statut sans le hurler sur tous les toits.
En personne, la Tesla Model S en impose donc, mais ne se veut pas trop ostentatoire. Dynamique, elle profite de lignes effilées, dictées par l’aérodynamique, et d’une allure générale sobrement sportive. La calandre pleine n’est pas la plus grande réussite stylistique des dernières années et la Tesla semble parfois se chercher un peu de personnalité, mais l’ensemble fonctionne tout de même, notamment grâce aux belles jantes de 21 pouces et au béquet en carbone de notre version 85 kW Performance +. Parmi les détails qui font mouche et amènent une note futuriste à l’ensemble, on apprécie cependant les poignées de porte intégrées à la carrosserie qui se déploient lorsque l’on s’approche de la voiture, ou encore l’intégration du connecteur de recharge au feu arrière gauche.
Mais la véritable réussite du Model S, c’est de masquer partiellement ses dimensions à l’américaine : avec 4,97 m de long pour 1,96 m de large, la Tesla n’est pas une petite voiture. Mais sur la route, elle ne donne pas l’impression de dépasser de tous les côtés… sauf si l’on ose s’aventurer dans un parking souterrain parisien.
Et si le luxe, c’était l’espace ?
Porsche, BMW, Audi, Mercedes, Jaguar : tous les constructeurs « premium » approchent l’espace intérieur de la même façon, à un degré plus ou moins prononcé : le conducteur se trouve ainsi installé dans un cockpit, les commandes réparties à portée de la main droite entre console centrale et tunnel de transmission. La découverte de l’habitacle de la Tesla Model S est donc un choc. Car ici, l’approche est à l’opposée des habitudes. « La voiture est radicalement différente de ce qu’on connaît habituellement en matière de technologie », nous explique-t-on chez Tesla, « il n’y a donc pas de raison pour que l’on adopte la même approche que tout le monde dans l’habitacle. Nous n’avons pas besoin de tunnel central, pourquoi en rajouter un ? » Concrètement, cela se traduit par un espace vide entre conducteur et passager, remplacé par un bac en carbone plutôt pratique à l’usage.
On note également l’absence quasi-totale de boutons physiques, à l’exception de l’ouverture de boîte à gant et des warnings. Car la console centrale disparaît au profit d’un gigantesque écran tactile de 17 pouces qui rassemble l’intégralité des fonctions de la voiture : climatisation, GPS via Google Maps, info-divertissement, accès internet, configuration de technologies embarquées (direction, hauteur de caisse, récupération d’énergie au freinage, charge programmée…), éclairage de l’habitacle ou même ouverture du toit ouvrant.
Facile d’utilisation, réactif et plutôt pratique à l’usage, cet écran combiné au design épuré d’une planche de bord mêlant cuir et carbone donne véritablement la sensation de conduire un produit signé Apple. Après tout, les sièges de Tesla Motors et du géant de l’informatique se situent à une quinzaine de kilomètres l’un de l’autre…
On pourra cependant reprocher l’utilisation de commodos et commandes de vitre électriques directement issus du catalogue de pièces Mercedes. Le levier actionnant la boîte de vitesse situé derrière le volant tranche notamment avec l’atmosphère technologique générale. On aurait préféré des boutons au dessus de l’écran ou une molette, à la manière d’Aston Martin ou de Jaguar.
On apprécie par contre les trois vraies places à l’arrière, ainsi que les deux sièges escamotables pour enfants, installés dos à la route dans le grand coffre. Les batteries prenant place sous le plancher et le moteur électrique sur l’essieu arrière, le museau abrite un second coffre, portant à 895 litres le volume total de transport.
Kilo, watts, heures
Ce qui nous amène donc à l’essentiel en ce qui concerne la Tesla Model S : son mode de propulsion. La berline est proposée en trois configurations : 60 kWh (306 ch et 390 km d’autonomie normalisée), 85 kWh (367 ch, 502 km d’autonomie normalisée) et 85 kWh Performance. Cette dernière version, que nous avons entre les mains aujourd’hui, annonce 421 ch, un 0 à 100 km/h en 4,4 secondes, 210 km/h de vitesse maximale et 502 km d’autonomie normalisée (480 km d’autonomie à 88 km/h). En outre, la P85 peut s’équiper du pack « performance plus » apportant des améliorations aux trains roulants et ajoutant des jantes de 21 pouces chaussées de pneus Michelin Pilot Sport SP2.
Côté recharge, de multiples options sont proposées. Sur une prise classique, la Tesla récupère 55 km par heure de charge. Il est ensuite possible de doubler le chargeur, ou de passer à des capacités plus importantes afin de passer à 110 km par heure. Mais le plus intéressant concernant la charge ne se trouve pas directement dans la voiture, mais plutôt dans les infrastructures proposées par Tesla. Le constructeur met en effet actuellement en place dans le monde entier un réseau de « Superchargeurs », des stations de recharge ultra haute capacité situées à des points stratégiques permettant de récupérer de l’autonomie lors d’un long trajet. En 20 minutes, on récupère ainsi 50% de la batterie, et 80% en 40 minutes, soit un niveau de charge suffisant pour rejoindre le Superchargeur suivant. D’ici à l’hiver 2014, la France comptera un nombre suffisant de stations pour relier Paris à Marseille en passant par Lyon ou par Bordeaux. L’objectif étant de permettre le transit entre toutes les capitales d’Europe de l’Ouest avant la fin de l’année. Cerise sur le gâteau, le service est gratuit pour les propriétaires de Tesla.
Premier contact
Mais avant de recharger, il faut bien décharger : clé dans la poche, je m’installe à bord de la Model S, dans des sièges jolis et confortables mais qui pourraient offrir un peu plus de maintien. Je recherche un bouton de démarrage, pour constater qu’il est tout simplement inexistant. En l’absence d’un moteur à réellement démarrer ou arrêter, il suffit d’enclencher Drive pour rouler et de sélectionner Park puis de quitter la voiture pour « l’éteindre ». Un bouleversement des habitudes de plus, auquel on met un certain temps à s’habituer mais qui simplifie ensuite le quotidien et ajoute à l’aspect futuriste de l’engin.
Comme toujours, le silence est ce qui frappe le plus lors des premiers kilomètres. Du moins, jusqu’à la première accélération. Pied enfoncé jusqu’à mi-course sur la pédale de droite, la Model S se catapulte en avant, au point de déclencher l’antipatinage sur le sol humide.
L’immense avantage des moteurs électriques, c’est évidemment cette disponibilité de la puissance dans sa totalité, à n’importe quel moment. Et la brutalité de l’accélération enlève le moindre doute quant à la possibilité de réellement effectuer un 0 à 100 km/h presque aussi vite qu’une Ferrari F430.
En s’insérant dans la circulation, je calme le rythme et la Tesla Model S se transforme en berline civilisée, silencieuse et agréable. Contrairement à mes habitudes, j’effectue ce premier trajet sans musique, pour mieux profiter du silence, que seuls les bruits aérodynamiques et de roulement accompagnés du sifflement discret du moteur électrique viennent perturber. Dans ces conditions, la Tesla se montre même relaxante.
Le sport ou l’économie
La journée suivante commence par une étape de ville, une cinquantaine de kilomètres d’autoroute, puis une dizaine de kilomètres de nationale à rythme normal, ce qui entame l’autonomie restante normalisée de moins de 60 km. Avec la récupération d’énergie au freinage et une conduite modérée, les 450 km environ annoncés au tableau de bord apparaissent donc comme réalistes dans ce genre de conditions. Mais enfin s’ouvre devant moi une route sinueuse !
Je commence par changer le paramètre de la direction sur la console tactile pour adopter le mode « Sport »… pour l’abandonner presque aussitôt : il ajoute un poids important qui apparaît artificiel et manque de linéarité dans sa consistance. Mieux vaut lui préférer le mode « Normal », qui offre un compromis correct entre précision, remontée d’informations et poids, même si la sensation artificielle demeure. Un mode « Confort » est également proposé, mais son inconsistance le réserve aux manœuvres en ville.
Deux modes existent également pour la récupération d’énergie au freinage. En version standard, celle-ci fonctionne comme un frein moteur plutôt efficace et minimise le recours à la pédale de frein. Mais elle entraîne également une sorte d’effet « on/off » qui signifie que l’on peine à rester uniquement sur un filet de gaz régulier. Tesla propose de réduire les effets de la récupération d’énergie, afin d’obtenir un comportement habituel et de maîtriser les décélérations uniquement avec le frein.
Malgré ces systèmes, d’ailleurs, le freinage conserve un toucher correct et ne manque ni de mordant, ni d’endurance. La suspension pneumatique est elle aussi d’excellente qualité. Confortable (même sur version Performance Plus aux réglages plus extrêmes), elle maintient la caisse avec rigueur et aide à la mise en confiance sur les tracés sinueux.
Car la Tesla Model S réclame un temps d’adaptation avant d’oser la pousser dans ses retranchements. Est-ce le toucher de direction légèrement perturbant, le manque de repères lié au silence global ou le fait que l’engin annonce 2 100 kg ? Toujours est-il que je ne me sens pas particulièrement à l’aise lors du premier passage sur notre route d’essai. Mais peu à peu, j’apprends à me reposer sur le centre de gravité ultra bas, la répartition des masses parfaite et le grip impressionnant des pneus Michelin pour augmenter la vitesse de passage en courbe jusqu’à un niveau particulièrement élevé. L’expérience se montre fascinante.
L’estime que je porte aux ingénieurs chargés du développement de la Tesla augmente cependant au même rythme que mon inquiétude vis-à-vis de la batterie. Après 4 allers-retours à bonne allure sur quelques kilomètres de route sinueuse, l’écran central indique une autonomie de 55 km en « consommation instantanée », 85 km selon la moyenne des 25 derniers kilomètres et 230 km en normalisée.
Ne sachant pas trop qui croire, mais préférant mettre toute les chances de mon côté, je réduis donc largement le rythme pour le reste de notre tournage ! Frustrant, car le côté « catapulte » de la Tesla est particulièrement addictif. Au final, lorsque je ramène la voiture dans le nouveau showroom de la marque, j’ai parcouru plus de 200 km dans la journée et la voiture annonce encore un gros tiers de batterie disponible. A titre de comparaison, dans les mêmes conditions, une Porsche Panamera GTS afficherait quelque chose entre 18 et 22 l/100 km.