L’avenir de l’automobile est pour le moment principalement électrique et, à ce titre, les batteries représenteront une part importante du prix d’achat des nouvelles générations de véhicules. Problème : actuellement, la grosse majorité des fournisseurs de cet élément indispensable est en Chine et en Corée, deux pays qui jouissent d’une avance considérable sur sa production en masse et donc sur la maîtrise des effets d’échelle sur les coûts. Pour les constructeurs européen, l’enjeu industriel, économique et commercial est donc de réduire leur dépendance quant aux fournisseurs asiatiques en produisant leurs propres batteries, sachant que l’accès aux matières premières qu’elles requièrent demeurera également un point critique dans les années à venir. On peut même penser qu’il sera sûrement source de tractations géopolitiques et de conflits, comme c’est le cas pour le pétrole depuis des décennies.
Si Airbus est une très belle réussite industrielle bâtie sur un solide partenariat franco-allemand, il n’est pas un exemple si facile à reproduire. Pourtant, régulièrement, les gouvernements français appellent de leurs vœux “L’Airbus” de ceci ou de cela… sans succès. “L’Airbus du train” entre Alstom et Siemens qui, pour l’instant, n’a mené nulle part en est une belle illustration. Principalement porté par Emmanuel Macron, « l’Airbus des batteries » avait ainsi pour ambition de créer une entreprise impliquant des industriels des deux côtés du Rhin. Il s’accompagnait de la volonté d’un contrôle essentiellement français. L’idée a fait son chemin et, le 9 décembre 2019, l’Europe a autorisé sept États membres à distribuer une aide publique de 3,2 milliards d’euros au secteur de la batterie. Un projet qui devait regrouper dix-sept industriels issus de l’automobile (Stellantis, BMW…) et de la chimie (BASF, la SAFT, Solvay…). Une grande alliance qui semblait ravir les ministres de l’Économie allemand et français, le premier se félicitant d’un “grand succès” quand le second déclarait que “toute la chaîne de valeur de la filière des batteries pourra se déployer sur le sol européen, permettant ainsi de maintenir une production industrielle solide en Europe”. Et d’ajouter : “L’émergence de la filière européenne de batteries contribuera à la réalisation de l’objectif fixé par l’Union européenne de devenir le premier continent neutre en carbone d’ici à 2050.”
Mais deux ans plus tard, l’Airbus des batteries voulu par la France se résume à un partenariat entre Stellantis – ex-PSA – et TotalEnergies, propriétaire du chimiste SAFT sous la forme d’une coentreprise nommée ACC (Automotive Cells Company). Et pour faire croire à une alliance franco-allemande, la page d’accueil prend soin de détacher Opel de Stellantis, alors que le constructeur est intégré à PSA, et donc Stellantis, depuis quatre ans maintenant.
C’est que nous sommes dans un marché ouvert où, face à une transition très rapide, de nombreux acteurs privés cherchent essentiellement à tirer au mieux leur épingle du jeu. Nous assistons donc à l’émergence d’un foisonnement de solutions et de nouvelles entreprises de tailles diverses plutôt qu’à une construction organisée autour d’un acteur unique de grande taille. Ainsi, quand l’Europe propose 3,2 milliards d’aides publiques et que ACC prévoit de son côté un investissement de 5 milliards, le groupe Volkswagen présente quant à lui un plan d’investissement de 30 milliards d’euros. Pour sa part, Toyota aligne 13,5 milliards de dollars pour se doter d’une technologie de batteries dites “solides”. La transition se révèle ainsi emmenée par les groupes automobiles eux-mêmes qui concluent des partenariats avec les acteurs référents du marché actuel, chinois si besoin est. Par exemple, BMW a pris des parts dans le constructeur chinois de batteries CATL qui possède une usine de batterie – une “gigafactory”, selon le terme consacré – en Allemagne.
Cette situation favorise également l’apparition de nouvelles entités, comme Northvolt, entreprise suédoise fondée par des anciens de Tesla. Ayant un peu bénéficié de l’investissement européen, cette dernière annonce un investissement de 15 milliards à venir prochainement pour soutenir son développement. Elle compte déjà parmi ses clients des marques majeures telles que BMW et Volkswagen, qui pour l’instant diversifient également leurs sources d’approvisionnement. Pendant ce temps, ACC court les médias et fait des appels du pied à Renault pour rejoindre l’aventure. Mais ce dernier se tourne vers une nouvelle société, française également : Verkor. Elle aussi créée par un ancien de Tesla, elle souhaite devenir le Northvolt du sud de l’Europe avec l’aide notamment de Schneider Electric. On le voit, l’union sacrée des constructeurs et industriels français n’est manifestement toujours pas à l’ordre du jour.
En somme, l’enjeu des batteries est trop crucial et le temps trop compté pour reposer sur un seul acteur encore en devenir, d’autant que la technologie évolue rapidement et que les investissements vont devoir être rapides et volumineux. Ainsi, la batterie lithium-ion actuelle est déjà concurrencée par la technologie LFP (lithium-fer-phosphate) que l’on trouve sur certaines Tesla Model 3 et probablement dans la future Renault 5. Plus économe en métaux rares, plus durable, plus constante, plus sûre et moins polluante à produire, elle offre néanmoins une densité énergétique légèrement inférieure à celle des accumulateurs lithium-ion plus répandus. Un problème que résoudront sans doute les batteries solides en approche et, mieux encore, celles au graphène, qui demeurent pour l’instant au stade de la recherche.